A quoi ressemblait l'ancêtre que Néandertal et nous avons en commun

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Paléoanthropologue à l'université de Cambridge (Royaume-Uni) au sein du Leverhulme Centre for Human Evolutionary Studies, Aurélien Mounier cherche à établir comment Homo est devenu sapiens, comment les individus de cette lignée ont acquis les caractéristiques qui sont les nôtres aujourd'hui. En collaboration avec Marta Mirazon Lahr, qui dirige le projet « In Africa » sur le rôle de l'Afrique de l'Est dans l'évolution de l'homme, il vient de publier un article dans le Journal of Human Evolution, où ces deux chercheurs décrivent comment ils ont, à l'aide d'un modèle numérique, reconstitué le crâne de l'ancêtre commun à l'homme moderne et à son cousin Néandertal. Aurélien Mounier a aimablement accepté de répondre à mes questions sur ce « fossile virtuel » reproduit sous deux angles différents au début de ce billet.

Nous savons que nous avons un ancêtre commun avec les Néandertaliens. Cet ancêtre, ou plutôt cette population ancestrale qui est généralement appelée Homo heidelbergensis, vivait au Pléistocène moyen (période qui va d'environ 800 000 ans à 200 000 ans avant notre ère), en Afrique et probablement en Eurasie. Malheureusement, pour une période de temps si large et pour une zone géographique si étendue, nous ne disposons que de quelques dizaines de fossiles. De ce fait, il y a beaucoup de débats sur la définition de cette population : quelle espèce ? Quelle répartition géographique ? Et bien sûr une des questions principales est de déterminer à quel moment les deux lignées, celle des hommes modernes et celle des Néandertaliens se sont séparées.

L'objectif de notre étude était de reconstruire mathématiquement un crâne virtuel qui représenterait un fossile de cette population ancestrale. Par la suite nous pouvions considérer ce fossile virtuel comme un fossile « normal » et le comparer avec les fossiles originaux pour voir si sa morphologie correspondait à certains spécimens. Enfin, pour prendre en compte le débat sur le moment de la séparation des lignées moderne et néandertalienne, nous avons compliqué notre modèle et créé trois ancêtres virtuels correspondant à trois dates possibles pour cette séparation : 1 million d'années, 700 000 ans et 400 000 ans. A l'heure actuelle, la date la plus probable de séparation des lignées, qui correspond aux estimations basées sur l'ADN et l'horloge moléculaire est plus proche de 400 000 ans.

Nous avons construit un arbre simplifié représentant l'évolution du genre Homo. Cet arbre contient trois espèces différentes, Homo erectus, Homo neanderthalensis et Homo sapiens, représentées par 15 spécimens (2 erectus, 5 Néandertaliens et 8 hommes modernes) sans inclure de fossile qui pourrait correspondre à la population ancestrale visée. Nous n'avons utilisé que 15 spécimens du fait de l'état de conservation général des fossiles qui sont souvent très fragmentaires. Or dans cette étude nous voulions reconstruire le crâne entier.

Les spécimens sont décrits par 797 « point-repères » qui couvrent l'ensemble du crâne. C'est cette information, la forme décrite par ces point-repères, qui va être utilisée par l'algorithme et contrainte par un modèle d'évolution basé sur la marche aléatoire des changements évolutifs, afin de « remonter le temps ». A partir de là nous pouvons obtenir un ancêtre virtuel pour chaque nœud de notre arbre généalogique simplifié qui représente l'histoire du genre Homo.

Cet ancêtre à un front bas, des arcades sourcilières proéminentes, une face prognathe, ainsi que le début d'un renflement à l'arrière du crâne qui deviendra chez les Néandertaliens le « chignon occipital ».

Il nous ressemble surtout dans la forme de la partie basse de son visage, laquelle présente une petite dépression qui, chez l'homme moderne, est très marquée et contribue à la formation de pommettes relativement saillantes. Cet ancêtre ressemble plus aux Néandertaliens qu'à nous car la forme du crâne des hommes modernes est plus éloignée des autres espèces d'hommes aujourd'hui disparues que celle des Néandertaliens. Notre particularité est d'avoir une face rétractée sous la voûte crânienne qui est beaucoup plus haute et arrondie que n'importe quelle voûte crânienne des autres espèces humaines du passé.

Nous avons comparé nos trois ancêtres virtuels à plus de 50 crânes provenant d'Afrique et d'Eurasie et datant de 1,8 million d'années jusqu'à nos jours. Les trois ancêtres ont une morphologie qui ressemble aux fossiles datant du Pléistocène moyen, c'est-à-dire la période à laquelle nous savons qu'existait la population ancestrale des hommes modernes et des Néandertaliens. Ceci tend à montrer que l'estimation fonctionne bien puisque le modèle utilisé pour calculer les ancêtres n'incluait pas de fossile de cette période. Parmi ces trois modèles, l'ancêtre virtuel qui ressemble le plus aux fossiles de cette période est le numéro 2 reconstruit sur l'hypothèse d'une séparation entre Néandertaliens et hommes modernes vers 700 000 ans avant notre ère. C'était assez surprenant, je m'attendais à ce que l'ancêtre le plus récent, 400 000 ans, corresponde le mieux à la morphologie des fossiles du Pléistocène moyen. Cela aurait été concordant avec les résultats issus des analyses de l'ADN ancien.

La nouvelle date n'est qu'une hypothèse basée sur un modèle, ce n'est pas forcément la vérité. En revanche, il est possible que, dans certaines analyses génétiques, la vitesse du taux de mutation soit légèrement surestimée, ce qui entraîne une sous-estimation de la date de séparation de deux lignées. Je pense que la réalité se trouve plutôt entre 700 000 et 400 000 ans. Nous avons fait le choix de tester trois hypothèses seulement, nous ne savons pas avec certitude ce qu'aurait donné un modèle utilisant une date différente, par exemple 500 000 ans. Si cette date est confirmée, elle indiquerait une évolution plus lente des lignées moderne et néandertalienne et une relative stabilité au Pléistocène moyen : comme les plus anciens hommes modernes et Néandertaliens connus ne sont vieux que d'environ 200 000 ans, cela laisserait près de 500 000 ans à cette population ancestrale pour se diversifier.

Cette approche est parfaitement applicable à d'autres espèces. Elle permet de reconstruire la forme ancestrale d'un os ou d'un ensemble d'os quel que soit l'organisme concerné. Bien sûr, le modèle que nous utilisons ici est très simple. Il peut être complexifié de façon considérable pour intégrer d'autres facteurs qui jouent un rôle dans l'évolution, comme des pressions sélectives dues à l'environnement, au climat ou à la géographie. Reconstruire virtuellement le dernier ancêtre commun aux tyrannosaures et aux diplodocus est donc possible… Ce n'est bien sûr pas mon objectif prioritaire et je me concentre actuellement sur l'application de cette approche à l'origine commune des hommes et des chimpanzés, à reconstruire le chaînon manquant le plus important dans l'histoire de la famille humaine !

Propos recueillis par  Pierre Barthélémy (suivez-moi sur Twitter ou Facebook)

Post-scriptum : à partir du 12 janvier, je tiendrai une chronique tous les mardis dans l'émission de Mathieu Vidard, « La tête au carré ». C'est sur France Inter à 14 heures. Je parlerai de science, sérieuse et improbable…

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