Nucléaire en Polynésie : la population des Gambier toujours marquée par les essais français

Par , publié le .

Actualité

« Ici, la maladie fait partie de notre quotidien ». Assise devant sa maison à  l’ombre d’un grand bougainvillier sur l’île de Mangareva, dans l’archipel des Gambier, Monica Paheo, 69 ans, explique que beaucoup de ses proches sont tombés malades après les essais nucléaires de l’armée française en Polynésie.

Elle-même a développé un cancer de la thyroà¯de en 2000. Dix-sept ans après, le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, créé à  la suite de la loi Morin en 2010, a reconnu le lien entre sa pathologie et le nucléaire.

La France a mené 193 essais nucléaires en Polynésie française entre 1966 et 1996. L’archipel des Gambier, situé à  seulement quelques centaines de kilomètres de Moruroa, a été particulièrement touché par les retombées radioactives.

Monica Paheo se rappelle du premier tir, le 2 juillet 1966. Elle était chez ses parents au village de Rikitea, à  424 km du lieu des essais.

Elle n’était qu’une adolescente à  l’époque, mais elle en garde un souvenir immuable: «La maison a tremblé comme si ça allait éclater. Le lendemain, il y avait des poissons pourris sur la plage et on a retrouvé des poules et des cochons morts devant la maison d’une famille. J’ai vu des militaires renverser des fà»ts d’eau en nous disant qu’il ne fallait surtout pas la boire».

En 2013, l’Etat a reconnu 31 retombées radioactives sur Mangareva. Parmi les plus importantes: le premier tir, Aldebaran, et l’essai Phoebe le 8 aoà»t 1971.

A la fin des années 1960, les autorités françaises ont bâti des abris de protection sur l’île, qui comptait 570 habitants et quelques centaines de militaires: un hangar en tôle au village de Rikitea et un blochkaus de l’autre côté, pour les militaires.

«J’étais une petite fille, je me rappelle qu’il y avait un cinéma et beaucoup de nourriture. On y restait parfois quelques jours et on s’y amusait bien. On nous mettait dans les abris à  cause des nuages et pluies radioactifs mais ça, je l’ai su après», raconte Tina Pavaouau tout en gardant un Å“il sur son linge à  sécher, menacé par un ciel qui se couvre.

Malgré un traitement pour sa thyroà¯de afin d’éviter un cancer, la quinquagénaire n’a jamais voulu quitter sa terre natale oà¹, 25 ans après l’explosion de la dernière bombe, il ne reste plus aucune trace des abris, détruits par l’armée à  la fin des années 2000 lors du démantèlement du centre d’expérimentation du Pacifique.

Les images du champignon nucléaire que les habitants affichaient un temps fièrement dans leur maison ont, elles aussi, presque disparu, jetées à  la poubelle comme un mauvais souvenir.

Une partie de l’héritage des essais n’est plus visible mais la population en garde les marques.

«La maladie est toujours présente. Une de mes sÅ“urs a (des nodules sur, NDLR) la thyroà¯de et un lupus. Ma mère est morte d’un cancer de l’Å“sophage et, en 2020, c’est mon père. Il avait un cancer de la thyroà¯de qui s’est aggravé car il a été empoissonné plusieurs fois par le poisson», explique Maria Mahaa, le regard sombre fixé vers l’une des dernières photographies de son père.

Devenue une réalité de la vie quotidienne des Mangaréviens, la ciguatera, appelée aussi la «gratte», une intoxication alimentaire par le poisson de récif corallien, est connue depuis des siècles en Polynésie. Mais elle a pris une autre proportion depuis quelques dizaines d’années.

«On savait o๠et quel poisson était mauvais. Mais depuis les bombes, presque tous sont malades. Le poisson, c’est notre plat principal, alors beaucoup de gens et même des enfants ont été empoisonnés. J’en ai vu plusieurs vomir et avoir la diarrhée», souligne Monica Paheo chez qui l’inquiétude est palpable.

Aujourd’hui, aucune étude scientifique n’a permis de faire de lien direct entre le nucléaire et l’augmentation d’intoxication au poisson. Mais cette hausse localisée est confirmée par la commission d’enquête sur les conséquences des essais nucléaires de l’Assemblée de Polynésie en 2005.

Alors, comme beaucoup de Mangaréviens, Monica Paheo s’interroge: «Quatre de mes enfants ont développé (des nodules sur, NDLR) la thyroà¯de et une de mes filles a eu un cancer de l’utérus. Mes petits-enfants sont-ils eux aussi en danger?»

O commentaire

Laisser un commentaire

Votre email ne sera pas publié. Champ obligatoire (*)