HUIT MALADES D’EBOLA CONFIRMÉS EN GUINÉE : Une seconde épidémie aux portes du Sénégal

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Economie

 

En pleine crise mondiale de coronavirus, une partie de l’Afrique de l’Ouest renoue avec ses démons. Beaucoup plus mortel que la Covid-19, le virus Ebola a refait surface en Guinée, menant du même coup vers le Sénégal qui avait enregistré un cas issu de ce pays en 2014.   

 

Cinq ans après, la menace Ebola tape encore aux portes du Sénégal. Le pays, à  l’image de la planète entière, peine à  se débarrasser de la pandémie de coronavirus qui mobilise tous ses efforts sanitaires. Au même moment, la Guinée voisine s’est déclarée, hier, en situation d’épidémie de fièvre hémorragique Ebola. Une nouvelle plus que préoccupante pour le Sénégal.

En effet, le seul malade du virus Ebola détecté par le pays en 2014 était originaire de la Guinée.  

L’épidémie a déjà  fait quatre victimes parmi les huit personnes identifiées. Tout est parti, selon les autorités guinéennes, d’un enterrement. Une infirmière est décédée fin janvier à  Gouecké, près de la capitale régionale Nzérékoré, et plusieurs personnes ayant pris part à  son enterrement ont, quelques jours après, commencé à  avoir des manifestations de diarrhées, de vomissements, de saignements et de fièvre. Après des tests réalisés, »˜’ce matin, très tôt, le laboratoire de Conakry a confirmé la présence du virus Ebola », a déclaré hier, à  l’issue d’une réunion d’urgence, le patron de l’Agence sanitaire guinéenne, Sakoba Keà¯ta. Ce qui place, ajoute-t-il, la Guinée à  nouveau en »˜’situation d’épidémie » à  la fièvre hémorragique Ebola.  

Pour circonscrire au plus vite l’épidémie, les autorités guinéennes ont déclaré l’isolement des nouveaux patients, avec la réactivation des centres de prise en charge à  Nzérékoré et à  Conakry. »˜’Une mission d’investigation va délimiter la zone incriminée et déterminer les villages de toutes les personnes qui ont pris part à  la cérémonie d’inhumation de cette première victime, afin d’identifier les contacts et les isoler », a expliqué le Dr Sakoba Keà¯ta. 

Le retour du virus, ajoute le patron de l’ANSS, pourrait provenir d’un »˜’malade anciennement guéri dont la maladie s’est réveillée » ou d’une transmission par des »˜’animaux sauvages, notamment les chauves-souris ».

C’est également de cette région du Sud, située à  plus de 800 km de Conakry par la route, qu’est partie la pire épidémie de l’histoire du virus, qui avait fait plus de 11 000 morts, entre 2013 et 2016, principalement en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia. Dans ce dernier pays voisin de la Guinée, o๠aucun cas n’a été signalé, le président George Weah a immédiatement ordonné le renforcement de la vigilance et la sensibilisation des populations, en particulier le long de la frontière.

Qu’en sera-t-il du Sénégal ? Le même scénario avait amené à  l’entrée du virus Ebola dans le pays en 2014. C’est après avoir participé à  l’enterrement de son frère mort de la maladie qu’un étudiant guinéen avait entrepris de passer ses vacances au Sénégal. Il avait réussi à  se rendre dans la banlieue dakaroise.

Pour faire face, les autorités étaient passées d’un stade de prévention à  un dispositif de surveillance pour circonscrire les risques de propagation de la maladie. Une équipe restreinte s’était lancée dans un travail de recherche épidémiologique. Le but était de répertorier toutes les personnes qui ont été en contact avec le patient au moment o๠il pouvait transmettre la maladie. La maison dans laquelle logeait l’étudiant avait été désinfectée et évacuée par le service d’hygiène. Son entourage placé en quarantaine et bénéficiant d’une surveillance médicale, jusqu’à  ce que le patient soit soigné et rapatrié en Guinée.

La riposte du Sénégal avait alors été citée en bon exemple par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), lorsque l’on est confronté à  un cas importé d’Ebola. Mais elle avait convenu que, malgré la maîtrise de la propagation, la situation géographique du pays le rendait vulnérable à  d’autres cas importés de maladie à  virus Ebola.

Après cet épisode, huit autres cas avaient été découverts en Guinée, en mars 2016, après l’extinction supposée du virus en décembre 2015. Différentes mesures sanitaires ont ainsi été prises par les autorités sénégalaises à  la frontière, avec l’appui de l’Unicef, en particulier le déploiement de l’application M-Ebola. Développée par l’Unicef, elle permet aux agents de santé sur le terrain de faire remonter, par SMS, rapidement des informations de diagnostic, lorsqu’ils font face à  un cas suspect d’Ebola. Toutefois, le pays n’avait pas enregistré de cas.

Seulement, la situation est bien différente de 2014 et 2016. Les structures sanitaires déjà  éprouvées par la pandémie de Covid-19 ne seront certainement pas capables de faire face à  une épidémie beaucoup plus meurtrière que le coronavirus. Si le taux de létalité de la Covid-19 est généralement inférieur à  5 %, la mortalité moyenne du virus Ebola est d’environ 50 %. Au cours des flambées précédentes, les taux sont passés de 25 % à  90 %, selon l’OMS.

Il existe tout de même des raisons de voir les choses avec plus de sérénité que dans le passé. Les gestes barrières contre la Covid-19 sont efficaces contre le virus Ebola. En Guinée, Conakry et l’OMS se sont estimées mieux armées qu’il y a cinq ans, grâce notamment aux progrès de la vaccination, pour faire face à  cette maladie. L’organisme sanitaire international va déployer rapidement des moyens et faire en sorte que des doses de vaccins nécessaires soient »˜’mises à  disposition le plus rapidement possible pour aider à  la riposte », a affirmé son représentant à  Conakry, le professeur Alfred Georges Ki-Zerbo.

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PR. SYLVAIN LANDRY BIRANE FAYE, SUR LE RETOUR DU VIRUS EBOLA EN GUINEE

»˜’Il est probable que l’épidémie atteigne le Sénégal. Il faut s’y préparer »

Professeur titulaire des universités en sociologie et anthropologie à  l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sylvain Landry Birane Faye est spécialisé en socio-anthropologie de la santé et en recherche évaluative des politiques et systèmes de santé en Afrique. Impliqué dans les équipes d’intervention de l’OMS et de l’Unicef en tant qu’anthropologue, il possède une vaste expérience dans la lutte contre les épidémies (Guinée, Mali, RDC) et mène des recherches sur les essais vaccinaux contre Ebola en Guinée, les interventions d’urgence et la communication sur les risques en santé. Dans cet entretien, il revient sur l’expérience du Sénégal et de la Guinée de l’épidémie, entre 2013 et 2016. Avec le retour de la fièvre hémorragique mortelle dans ce dernier pays, il appelle les autorités sénégalaises à  se préparer en conséquence.

Maintenant que le retour de cas d’Ebola est confirmé en Guinée, qu’elle devrait être la réaction du Sénégal ?

Le retour d’Ebola en Guinée n’est pas inattendu, pour ceux qui connaissent les épidémies. La résurgence était plus fréquente en RDC (République démocratique du Congo) plutôt qu’en Afrique de l’Ouest. Les cas observés proviennent de l’enterrement d’une infirmière très connue. Beaucoup de personnes se sont rendues aux obsèques à  Gouecké. C’est dans cette zone, en Guinée forestière, à  la frontière avec la Côte d’Ivoire et la Sierra Leone, qu’il y a eu la tuerie de Womé durant l’épidémie de 2013 à  2016. Le Sénégal doit faire ce qui est conseillé, lorsqu’une épidémie survient dans une zone frontalière comme cela : se préparer à  la perspective d’une résurgence de l’épidémie d’Ebola. Le pays n’avait connu qu’un cas en 2014.

Il faut tirer les leçons des bonnes pratiques pour mettre en jeu toutes les institutions et structures qui doivent préparer les communautés. Le Sénégal doit également avoir une réelle politique de partage des informations avec les zones transfrontalières. Le Liberia a lancé de suite sa stratégie de prévention, en partageant des informations et en surveillant sa frontière avec la Guinée. Et la meilleure surveillance épidémiologique est le partage, la mise en place de systèmes d’alerte sur les déplacements de personnes, l’implication de toutes les structures déjà  formées dans la prévention et la présomption. 

La dernière fois que cette épidémie s’est déclarée, beaucoup de pays ont très vite fermé leurs frontières. Est-ce que c’est conseillé dans des situations pareilles ?

L’OMS (Organisation mondiale de la santé) a toujours recommandé de ne pas s’empresser pour fermer les frontières. Lors de la précédente épidémie (2013-2016), il s’agissait d’une première pour beaucoup de pays ouest-africains. La peur s’emparant de leurs populations, certains pays ont fermé leurs frontières. L’Union africaine, avec l’Organisation ouest-africaine de la santé, n’avait pas joué le rôle de coordination sous-régionale. En général, il ne sert pas à  grand-chose de fermer les frontières. Rien que dans la zone frontalière de la Guinée, du Liberia et de la Sierra Leone, nous avions identifié sept portes d’entrée officielles. Mais il y en avait une cinquantaine qui fonctionnait de manière officieuse.

Le plus important est d’avoir un système de surveillance à  base communautaire. Si les populations sont préparées à  jouer leur rôle dans le cadre d’une telle surveillance, pour détecter, isoler et donner l’information, une bonne prise en charge pourra se mettre en Å“uvre. En 2014, le cas connu au Sénégal avait été détecté grâce au partage d’informations. Lorsque l’équipe de surveillance de la zone de Karia n’a pas retrouvé un cas contact, elle a retracé ses déplacements et est parvenue à  déterminer qu’il était parti à  Dakar. Elle a alors alerté les autorités sénégalaises.  D’ailleurs, nous travaillons pour avoir un système sous-régional de partage des informations et malheureusement, c’est une des faiblesses de la zone ouest-africaine.  

Qu’est-ce qui diffère ce qui se passe actuellement à  l’épidémie qui avait touché toute l’Afrique de l’Ouest ?

Ce n’est pas le même contexte, ni en Guinée ni au Sénégal. Il y a trois principales différences. Il s’agissait, entre 2013 et 2016, d’une première. Les populations n’avaient jamais été préparées. Dans beaucoup de zones, l’épidémie a été beaucoup politisée. Le système de santé africain était très faible et les compétences, en matière de prise en charge, étaient très limitées. La France a beaucoup aidé en Guinée. La Grande-Bretagne en Sierra Leone, les Etats-Unis au Liberia. On a vu que ces pays ont avancé dans la communication sur les risques, le renforcement des capacités, etc. Cela a permis, par exemple, d’utiliser les compétences guinéennes pour maîtriser la résurgence de 2018 en RDC.

Donc, aujourd’hui, l’épidémie survient dans un contexte dans lequel, des pays comme la Guinée doivent normalement avoir les ressources et certaines compétences techniques. Si l’on a tiré les leçons du passé, l’on doit savoir l’importance de la preparedness (préparer les communautés pour la gestion de ce qui n’est pas encore arrivé). Dans la zone frontalière entre le Sénégal et la Guinée, avec les mouvements des populations que l’on ne peut pas empêcher, il est probable qu’il y ait une épidémie. Donc, il faut s’y préparer.

En deuxième lieu, cette épidémie apparaît en pleine pandémie de coronavirus. Celle-ci connaît une deuxième vague avec laquelle les Sénégalais ont un certain comportement. L’on voit tout le laisser-aller, l’hésitation de certains citoyens sur l’existence de la maladie, la focalisation des institutions sanitaires autour de la vaccination, etc. On ne le souhaite pas, mais si une épidémie d’Ebola devait toucher le Sénégal, tout ne serait que plus difficile. En même temps, le travail pourrait être plus facile, si l’on avait tiré les leçons du passé, en mettant en place des systèmes qui permettent de savoir que les épidémies vont et reviennent. De ce point de vue, les Sénégalais ne devraient pas être surpris, si Ebola revenait dans le pays.

 Troisièmement, contrairement à  la première épidémie en Afrique de l’Ouest, nous disposons de vaccins. Ils ont été testés et utilisés lors de la résurgence en RDC. Ils devraient permettre de mieux s’en sortir. Mais tout dépendra de comment les Etats vont gérer la logistique pour avoir des doses disponibles.

Comment capitaliser la bonne réponse offerte par le Sénégal et saluée par l’OMS en 2014 ?

Je ne suis pas persuadé qu’il y ait eu une vraie capitalisation au Sénégal. Cette réponse magnifiée par l’OMS, l’on semble l’avoir perdu lorsqu’il s’agit de la Covid-19. Il ne s’agit pas de la même maladie. Mais pour lutter contre les épidémies, il doit y avoir un système qui marche avec tous les cas de figure. Si l’on avait capitalisé cette bonne expérience au niveau des structures sanitaires, au niveau logistique ou de l’engagement communautaire, l’on ne devrait pas avoir trop de problèmes pour faire face à  n’importe quelle épidémie.

En Guinée, par exemple, l’on veut lancer de suite une vaccination. Pourtant, le pays ne dispose pas de doses de vaccin. Si le Sénégal avait bien capitalisé, il aurait réservé des vaccins et ne risquerait pas de devoir attendre, comme la Guinée, que l’OMS commande des doses pour arrêter l’épidémie. Les doses dont disposait la Guinée sont périmées depuis décembre 2020. Pour pouvoir capitaliser, il faut le faire sur tous les plans : logistique, prise charge, la gestion, la preparedness, la gestion communautaire, etc. Ces bonnes pratiques, il faut être en mesure de les remettre en place, lorsqu’il s’agira d’une autre épidémie.

Dans le cadre de Covid-19, les communautés ont montré un grand engouement au début. Mais tout a été perdu par la suite. L’on est retombé dans les travers de certaines pratiques politiciennes ou partisanes. Et c’est aux antipodes des acquis sur lesquels il faut capitaliser.

Sur ce volet communicationnel et l’approche communautaire, que faudrait-il faire pour prévenir l’entrée du virus au Sénégal ?

Dans le Règlement sanitaire international (RSI), lorsque l’on est confronté à  une épidémie, il y a d’abord l’attitude à  tenir dans le pays concerné. Dans les pays qui n’ont pas encore été touchés, il faut de la preparedness. Il faut travailler sur la communication. Il faut surpasser la communication de persuasion. Il y a une communication sociale, une communication sur les risques qui doit engager les communautés comme des actrices de la solidarité qui permet de gérer les épidémies. Si l’on n’est pas en mesure de dialoguer avec les communautés, en utilisant la diversité des acteurs porteurs de dynamique communautaire, l’on perd notre temps. Ce n’est pas la communication chantonnée par les artistes musiciens ou dans les théâtres qui va régler le problème.   

Une autre épidémie en pleine Covid-19. Peut-on gérer les deux en même temps ?

Nous devons être en mesure de répondre. Si les milliards de francs CFA évoqués par le président de la République, au début de la pandémie, ont été investis à  bon escient et que le système de santé a été renforcé, l’on doit pouvoir gérer cela. Sur les ressources humaines, le système en place, les infrastructures et la logistique, nous avons déjà  connu des épidémies qui devraient permettre de renforcer nos capacités.

Avec la Covid-19, l’on parle beaucoup de la logistique sur la chaîne de froid avec les vaccins, le renforcement  des capacités du personnel soignant, la Cref (Communication sur les risques et l’engagement des communautés) etc. La transparence observée dans le traitement du seul cas observé au Sénégal en 2014, il faut la renouveler. Si toutefois nous revenons à  des pratiques qui ne mettent pas les communautés au cÅ“ur du processus, les pratiques politiciennes, on va avoir des problèmes. Nous devons également avoir une meilleure sociologie des médias au Sénégal. Les réseaux sociaux sont devenus de puissants vecteurs de contenus. Il faut travailler sur cette base, surtout dans le cadre de la communication au niveau communautaire. Dans des villages reculés de Matam, j’ai vu comment les populations ont des groupes WhatsApp avec lesquels ils partagent des informations. Et l’on y partage que des nouvelles venant de sources diversifiées. C’est une question de pratiques qu’il faut adapter au niveau local.

Lamine Diouf

 

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